Avec la disparition, ce 18 mars, de Jean Pélissier, personnage du droit du travail et bâtisseur de l’IETL, c’est une certaine idée du droit et de la rectitude que cette matière devrait imposer à ceux qui la prennent comme objet d’étude, qui nous quitte.
Jean Pélissier fut un constant pourfendeur des hypocrisies, entailles et faux semblants, professionnels et juridiques, qui noient le droit du travail actuel et étaient déjà bien perceptibles du temps de son activité professionnelle. On se souvient notamment de ses charges contre le rapport de Virville de 2004, ou contre les soi-disant clauses « informatives » du contrat de travail, privées de valeur contractuelle par une bien curieuse jurisprudence. Défenseur et praticien de la règle claire, il a légué au droit du travail quelques notions et distinctions fortes, qui résistent encore à l’usure du droit. Il fut l’un des premiers à lutter contre le sort si injuste qui était réservé aux travailleurs privés d’emploi pour raison de santé dans les années 1970. C’est à sa pensée synthétique et à sa volonté pédagogique que l’on doit, notamment, des éléments comme la distinction entre la cause exacte et la cause existante de licenciement, entre la cause économique qualificative et sa cause justificative, ou entre la sanction pécuniaire déguisée et la sanction pécuniaire indirecte. C’est parce qu’il l’emporta dans une fameuse controverse doctrinale, que les licenciements économiques sans plan de sauvegarde de l’emploi sont (encore) passibles de nullité. Ce ne sont là que quelques exemples, au sein d’une œuvre doctrinale à l’influence considérable.
Enseignant-chercheur au sens fort, Jean Pélissier fut aussi marquant par la vision innovante qu’il défendit de l’enseignement. Sur le modèle de certaines écoles canadiennes, Jean Pélissier était convaincu de la nécessaire ouverture à la pluridisciplinarité. On lui doit l’ouverture de l’actuel IETL à l’ergonomie et à la sociologie, qui font de notre Institut le seul en France à croiser ainsi les savoirs relatifs au travail. On lui doit aussi la pratique dès les années 1980 de la pédagogie inversée, qui apprend aux étudiants à se former les uns les autres et les incite à le faire.
L’image qui restera de Jean Pélissier sera celle de sa force, intellectuelle mais pas seulement. Il savait quand le temps était venu de ne pas transiger. Lorsque l’Université Lyon III était dirigée par une extrême droite militante, face à l’impossibilité d’alors d’en faire changer la gouvernance, il organisa le départ de l’IETL vers l’Université Lyon 2. Fidèle à ses valeurs, il fut aussi fidèle en amitié, sur tous les rivages du droit du travail, de Gérard Lyon-Caen avec lequel il eut tant de complicité, à Jacques Barthélemy, le voisin Clermontois. Ses élèves, nombreux, à Lyon, Toulouse et Bordeaux, ont tous tenté d’imiter peu ou prou sa plume vigoureuse et limpide. Nous lui devons plus qu’il n’est possible de le dire en quelques lignes.
Alain Bouilloux, Florence Debord, Emmanuel Dockès pour ses élèves de l'IETL
En décembre 2023 pour la célébration des 50 ans de l’Université Lumière Lyon 2, Jean Pélissier avait participé à la conférence « 50 ans d’histoire de l’enseignement du droit social, de l’IETSS à l’IETL ». Son discours rédigé à cette occasion est accessible en cliquant ici. |