Les 22 et 23 janvier 2025, les journées Travail et Anthropocène ont été l’occasion de débattre d’utopies concrètes engagées pour penser un autre travail.
- Lundi 22 janvier
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- Conférence introductive : Utopies possibles, par Enrico Donaggio.
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Enrico Donaggio, philosophe et directeur de l’IMERA à Marseille, a partagé la nécessité de sortir des très nombreux constats de désastres liés au régime de travail actuel pour aller investiguer les liens entre travail et liberté. S’agissant d’utopies, Enrico a constaté combien ce terme était à la mode, alors que « le concept est difficile à manier ». Il nous a proposé alors de penser qu’il est utilisé pour qualifier des actions de transformations vers quelque chose d’autre, de mieux, face à un présent qui recèle encore un potentiel, avec un impératif à changer nos vies. On ne peut plus continuer comme ça. C’est une forme d’espérance.
Son propos a ensuite suivi un mouvement en deux temps. Le premier a pris la forme d’une question : de quoi l’utopie peut-elle être le mot ? Le second a exploré les liens entre utopie et travail. Durant le premier mouvement Enrico Donaggio est revenu sur la façon dont « ce concept a été liquidé » après 1989 et dont il réémerge à présent, en nous proposant de distinguer les petites utopies menées par des petites groupes et des grandes utopies qui parlent de sociétés idéales. Dans le second temps Enrico Donaggio est parti d’un constat : celui d’une éclipse du travail, notamment dans une vision émancipatrice. Il a insisté sur le potentiel utopique du travail qui recèle toujours intrinsèquement entre le prescrit et le réel et éloigne d’un regard victimaire. Il a ensuite conclu en nous partageant des utopies marseillaises porteuses d’un taux de radicalité très important.
On trouvera des informations sur le travail réalisé par Enrico Donaggio et ses collègues d’ArTLib sur ce lien.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Expérimentation sur le travail dans les milieux industriels et artisanaux, par Sandie Favre.
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Sandie Favre a ensuite partagé l’expérience de GRAP, une coopérative d’activité et d’emploi dont l’objectif est d’aller vers de la mutualisation et de rompre l’isolement des entrepreneurs, en ayant à cœur de rester à une échelle où « on se connait les uns les autres » et avec un projet politique. Sandie Favre a notamment parlé d’un cercle « prendre soin » mais également des difficultés rencontrées pour les acteurs du GRAP : difficultés liées au modèle économique, mais aussi des phénomènes d’épuisement ou d’auto-exploitation dont la coopérative se saisit pour lutter contre l’invisibilisation du travail. On peut retenir de ce partage, cette belle formule : « Le GRAP change des vies et ce sont nos vies que l’on change ».
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Et si on parlait du travail ? par Thierry Morlet
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C’est ensuite Thierry Morlet, ergonome fondateur d’ANCOE qui a partagé un chantier conduit par la Mutualité Sociale Agricole « Et si on parlait du travail ? ». Thierry Morlet a évoqué notamment la nécessité pour les agriculteurs de prendre du temps pour soi et d’une « remise d’espérance d’activité » à savoir de penser la possibilité de pouvoir faire les choses autrement et de partager les expériences.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Urbanisme transitoire et utopies de travail, par Julie Pinson et Benjamin Pradel.
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Puis Julie Pinson et Benjamin Pradel de la SCOP Intermède ont présenté leurs actions de construction de lieux d’urbanisme transitoire, leurs « projets de lieux » comme ils les appellent. Ce sont des lieux de travail un peu différents qui portent l’utopie d’un autre travail. Julie Pinson et Benjamin Pradel ont partagé avec nous leurs réflexions en présentant deux lieux : la Filature et les ateliers du Briand où leur coordinateur assure la gestion de l’occupation. Ils s’interrogent actuellement sur ce que l’urbanisme transitoire fait au travail des personnes installées dans ces lieux sur des dimensions spatiales, temporelles, sociales, mais également sur leur rapport au travail lui-même.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Enjeux de gouvernance dans les friches associatives, par Constance Ruiz, Ilan Gratini et Thomas Arnera.
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Ce sont ensuite les frichards de la friche Lamartine, Constance Ruiz, Ilan Gratini et Thomas Arnera qui ont présenté leur projet d’occupation temporaire. Ils font partie d’un collectif d’artistes né d’un squat (également d’artistes) – « mouvement militant dont l’urbanisme transitoire est issu ». Aujourd’hui, ce collectif nomade en autogestion collaborative déménage en fonction des lieux attribués par les collectivités. Il doit s’adapter aux changements et au dédoublement de lieux qui sont des moments de fragilités où le collectif se transfigure tout en composant entre activité professionnelle propre et travail à fournir pour la friche et le collectif.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Territoires, transitions et démocratie, par Julien Perdrigeat.
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Après une courte pause, Julian Perdrigeat de la Fabrique des transitions a présenté des actions réalisées -notamment- dans des collectivités en mettant le travail au cœur et en sortant des silos. Il a retracé l’origine de cette démarche avec l’expérience désormais célèbre de Loos-en-Gohelle, commune qui s’est lancée dans une aventure de gouvernance en lien avec les citoyens pour réaliser des transitions. C’est suite à cette expérience singulière, utopique, pour un renouveau démocratique, qu’à présent avec ses collègues il travaille avec les territoires pour sortir d’un modèle éculé. Comment accompagner la survenue d’autres modèles, comment créer des récits pour sublimer, faire émerger des rêves collectifs, malgré les incertitudes ? Autant d’éléments que Julian Perdrigeat a partagés avec nous.
- Prospectives sur les évolutions du travail, par Amandine Brugière.
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Puis Amandine Brugière de l’ANACT a présenté une réflexion menée au sein de son institution à partir d’une approche prospective créative des évolutions du travail. Cette prospective créative procède d’une part par anticipation des futurs possibles pour s’y préparer, s’y adapter ou agir en vue de faire advenir des futurs souhaitables, d’autre part en se concentrant sur les phénomènes émergents et augmentant le champ des possibles. L’enjeu, s’interroger sur les problématiques et les actions à déployer demain pour l’ANACT, les mettre en débat, rétablir le sens du travail, revivifier le dialogue social, penser à la préservation de l’environnement. Cliquez sur ce lien pour en savoir plus.
- Mardi 23 janvier
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- Conférence introductive : Prospective du travail et utopies concrètes, par Valérie Pueyo.
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Le deuxième jour a commencé avec Valérie Pueyo, ergonome, Professeure à l’IETL qui nous a parlé de prospective du travail et d’utopies concrètes. Elle a indiqué que nous étions en période de « sommations utopiques » en raison des défis de l’Anthropocène et qu’il s’agissait d’étayer les structures et les publics (i.e. les acteurs) engagés dans des voies alternatives incertaines. Les aider à « utopier » en tenant le point de vue du travail et du travailler comme perspective, ressource et verrou. Un travail à refonder tant son régime actuel est délétère, un travail comme perspective car il est une clé et une nécessité pour sortir des troubles actuels. Un travail à réinscrire dans les utopies tant il a été occulté, voire dénié. Un travail dont il faut prendre soin, tant les transitions professionnelles requises pour répondre aux enjeux actuels sont délicates.
Valérie Pueyo a ensuite présenté quelques-unes des références qu’elle mobilise pour agir, et tout particulièrement les utopies concrètes de Bloch, ancrées dans l’espérance, la pratique et une certaine manière d’envisager les possibles. Elle a enfin présenté quelques points centraux qui, de son point de vue étayent les acteurs dans leurs projets. D’abord la nécessité de découper quelque chose qui soit « praticable » au travers de projets-chantiers, puis la nécessité de constituer un milieu d’intermédiarité, pour permettre une action en association authentique, réassurée, en commun et plurielle, la proposition de concevoir un contrat de base pour tenir perspective et quotidien.
Valérie Pueyo a terminé en évoquant les multiples questions qui restent à travailler ensemble : la place des « bénéficiaires », les institutions, etc.Téléchargez le texte de sa présentation
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Accompagner une ferme collective en émergence, par Céline Riolo, Nicolas Brulard et Claire Guillot.
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Ce sont ensuite Céline Riolo, co-directrice du réseau des fermes partagées, Nicolas Brulard du Courtil de Quincieux et Claire Guillot, ergonome diplômée du Master d’Ergonomie T2ÉS qui nous ont présenté leurs actions pour penser le commun dans une ferme collective en émergence. Le commun étant un objet sur lequel on vient poser des objectifs en termes d’espace, d’utopie et sur lequel vont se réfléchir l’organisation et les degrés de mutualisation. L’enjeu, tenir des dimensions concrètes du faire au quotidien, sans perdre de vue le projet utopique.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Agricultures, ruralité, démocratie, par Timothée Huck.
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Timothée Huck, directeur des Voies Romaines, une association avec une vocation d’insertion part des constats alarmants sur la biodiversité. Mais il les dépasse pour partager le travail sur les outils, les paniers, les semences, les circuits de commercialisation adaptés à la terre, le maraîchage bio, le ré-apprentissage de la cuisine… toutes choses réalisées avec et par des salariés en insertion. Un projet d’ampleur qui se fait en coopérations. Un projet qui passe par des lieux, un changement de logique de vie. Il propose ensuite des réflexions d’amorce : « la pensée suit l’action », « la pensée systémique », « la pensée du tremblement qui consiste à épouser la vibration du vivant », la joie, « la poétique de la relation ».
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Discussion, animée par Jérémy Alvez.
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Jérémy Alvez, Directeur Général de la Ceinture Verte Auvergne Rhône Alpes, entre ensuite en dialogue avec ces deux témoignages pour réfléchir aux dimensions collectives dans le travail agricole. L'accompagnement de collectifs constitués de porteurs de projets qui ne se connaissent pas peut devenir difficile si nous n'interrogeons pas les conditions d'émergence de la coopération (au sens d'intégrer les contraintes de l'autre dans son activité de travail). Il apparaît alors nécessaire de créer des synergies entre les structures accompagnantes afin de prendre soin du travail au sein des « utopies concrètes ».
- Conclusion des journées, par Pascal Béguin.
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Pascal Béguin, ergonome, Professeur et responsable de la filière d’Ergonomie de l’IETL conclut en évoquant trois idées. La première est qu’il y a toujours une dialectique entres les utopies et la réalité dans lesquelles elles s’inscrivent. La seconde est de savoir comment et dans quelle mesure la transition écologique peut réussir en faisant la promotion de la possibilité du droit et de bonheur de vivre et de croître. La troisième c’est l’opportunité de vivre. Vivre et être heureux c’est seulement être dans l’action et dans la relation.
Téléchargez le texte de clôture
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Remerciements de l'équipe.
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L’équipe a ensuite conclu ces belles journées en remerciant les participants et participantes, espérant que les échanges se poursuivent. De gauche à droite sur la photo : Claire Guillot, Eva Goullois, Delphine Béal, Blandine Passemard, Valérie Pueyo.
Crédits photo : Christian Dury, 2025
- Exposition « Transitions sensibles »
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Durant l’événement, le public aura profité de l’exposition « Transitions sensibles » présentée par Carole Baudin. Cliquez sur ce lien pour en savoir plus.